« D’une certaine nature et de sa genèse géométrique »
L’origine de ma démarche artistique repose sur l’énigmatique densité lumineuse et iridescente d’un pigment bleu de synthèse que je me suis astreint à étudier et à décliner en carré en suivant le principe d’une équation pendant vingt ans, jusqu'en 2015. Ce vertige s’est inscrit sur le fond de mon œil. J’ai travaillé «au rythme du millimètre» pour reprendre l’expression d’Aurélie Nemours et j’ai fini par intégrer le monde de l’art géométrique et son esthétique à dimension (in)variable.
Prolongeant mes recherches sur le « bleu du dehors » que décrit Merleau-Ponty dans ses écrits, j’ai découvert un jour, avec une certaine stupéfaction, que le ciel fut le premier «territoire» à être cartographié par l’homme durant l’antiquité pour en contenir l’immanence. Le rite divinatoire de l’ornithomancie consistait à borner mentalement le ciel en carré.
« Il existe une sorte d'entêtement ou de disposition à être attentif à certains signes comme l'était l'Auspex (devin décrit dans la mythologie grecque), pointant son bâton vers le ciel, y traçant un carré et attendant que les oiseaux viennent voler à l'intérieur de ce périmètre virtuel pour analyser leur trajectoire, prédire l’avenir et comprendre les mystères du monde...»
Depuis 2018, je me suis approprié pleinement cette étrange coïncidence. J’en ai fait un axe de recherche et mon travail a glissé vers d’autres latitudes. J’échafaude désormais, de la façon la plus rationnelle possible, un «imaginaire mathématique », une cosmométrie basée sur l’étude des formes et de la matière. Fasciné par les mythes de l’univers, par l’histoire de l’art et par les civilisations anciennes, je questionne la genèse plus méconnue de la géométrie et ses manifestations, qu’elles proviennent de la nature, des données de la science ou de croyances enfouies.
La circonscription de l’espace entretiendrait-elle quelques rapports avec les recherches sur la perspective et aujourd’hui sur la symétrie spatiale ? L’astrophysicien Jean-Pierre Luminet détaille dans ses remarquables publications que l'harmonie cosmique demeure un fondement de la science. Les formes géométriques, naturelles ou mathématisées, sont convoquées dans de nombreuses cultures, des plus anciennes aux plus contemporaines, comme un ensemble de phénomènes et d’hypothèses, de rites et de symboles susceptibles de donner une mesure à l'inconnu et de stimuler l'imaginaire…
« Les concepts d'harmonie universelle et de représentation géométrique du monde ont très tôt été appliqués à l'étude du firmament. Dès le VIe siècle avant notre ère les pythagoriciens ont développé une théorie cosmologique fondée sur les proportions, les nombres et les résonances entre les notes de l'échelle musicale naturelle. Au IVe siècle, Platon adopte le terme de « Cosmos » pour désigner l'ensemble formé par la terre et les astres, ensemble majestueux gouverné par des principes esthétiques, obéissant à des lois naturelles pouvant être déchiffrées et décrites en termes géométriques... »
Jean-Pierre Luminet
Colloque « Science, art et imagination géométrique ». 2017
Extrait d’« Ether » . Livre IV (en cours de rédaction) . Revu & corrigé par les éditions de l’improbable .